Les Haïtiens recourent à la justice populaire alors que la menace des gangs s’intensifie
Les Haïtiens recourent à la justice populaire alors que la menace des gangs s’intensifie
Police officers patrol a neighborhood amid gang-related violence in downtown Port-au-Prince on April 25, 2023. RICHARD PIERRIN / AFP
Q&A / Latin America & Caribbean 13 minutes

Les Haïtiens recourent à la justice populaire alors que la menace des gangs s’intensifie

Le 7 juillet marque le deuxième anniversaire de l’assassinat du président haïtien Jovenel Moïse. Dans ce Q&A, Diego Da Rin, expert de Crisis Group, explique pourquoi l’insécurité paralyse Haïti depuis cet assassinat et pourquoi certains Haïtiens se sont tournés vers des groupes d’autodéfense pour lutter contre la montée en puissance des gangs.

 

Deux ans après l’assassinat du président Jovenel Moïse, où en est l’insécurité en Haïti ?

La vacance du pouvoir qui a suivi l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021 a engendré l’épisode de violence le plus extrême de l’histoire récente d’Haïti. Le secrétaire général des Nations unies a récemment averti que l’insécurité dans la capitale Port-au-Prince avait « atteint des niveaux comparables à ceux des pays en situation de conflit armé ». En 2022, les homicides ont augmenté de plus de 30 pour cent par rapport à l’année précédente, avec près de 2 200 personnes tuées. Le nombre de femmes assassinées a augmenté de 75 pour cent, passant de 93 à 163. L’année 2023 pourrait s’avérer encore plus meurtrière : en avril, la recrudescence de la violence des gangs a tué plus de 600 personnes. Près de 400 cas d’enlèvements ont été recensés au cours des trois premiers mois de l’année, soit 72 pour cent de plus qu’en 2022.

Les gangs sont responsables de la plupart de ces violences car ils se sont renforcés et ont élargi leur territoire. Alors que pendant des décennies, ils étaient confinés dans les bidonvilles des grandes villes, ils contrôlent désormais 80 pour cent de Port-au-Prince, qui compte quelque trois millions d’habitants, ainsi que les principales voies d’accès à la capitale. Autour des plus grands ports de la ville, les gangs détournent fréquemment des camions de marchandises et ont bloqué à deux reprises le principal terminal pétrolier d’Haïti, provoquant des pénuries de carburant qui ont eu des conséquences terribles sur un pays dont le réseau électrique est extrêmement peu fiable. La mainmise des gangs sur des axes névralgiques a également perturbé les chaines d’approvisionnement et augmenté les coûts de transport des marchandises. Cela a fait grimper les prix des denrées alimentaires pour une population déjà appauvrie et épuisé les réserves de produits de première nécessité. Près de la moitié des Haïtiens sont aujourd’hui considérés en situation d’insécurité alimentaire. La plupart des 165 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays ont fui leurs foyers à cause de la violence des gangs. Ces derniers ont également renforcé leur implantation en dehors de Port-au-Prince, principalement dans la vallée de l’Artibonite, une zone agricole vitale pour l’approvisionnement alimentaire du pays, située à la lisière nord de la capitale.

La violence atteint son paroxysme sur la ligne de front qui sépare les territoires des gangs rivaux. À Cité Soleil, un bidonville situé au nord de la capitale, les tireurs d’élite de la coalition de gangs, connue sous le nom de G9 en Famille et alliés, tirent fréquemment sans discernement sur les civils vivant dans le quartier de Brooklyn, aux mains d’une alliance rivale, le Gpèp. Le G9 a également régulièrement fermé la seule route qui permet encore d’accéder à ce quartier, empêchant les gens de se rendre au travail et à l’école, entravant la collecte des déchets qui affluent dans la zone en provenance de la capitale, et interrompant l’approvisionnement en nourriture et en eau potable. Cette combinaison mortelle d’ordures et de manque d’eau potable a contribué à la résurgence du choléra à l’automne 2022.

Comment expliquer la montée en puissance des gangs ?

Plusieurs facteurs ont permis aux gangs de s’assurer une mainmise sur Haïti. Historiquement, les gangs ont toujours entretenu des liens étroits avec des responsables politiques et des entrepreneurs puissants, qui leur fournissaient des fonds, des armes et leur assuraient une protection juridique. Mais ces gangs ont perfectionné leurs pratiques illicites telles que l’extorsion ou l’enlèvement contre rançon, ce qui leur a permis de devenir beaucoup plus autonomes et de consacrer moins de temps et d’énergie à servir les intérêts de leurs anciens commanditaires. Les gangs, devenus plus indépendants, ont voulu accroître leur richesse et leur pouvoir en menant des actions violentes de plus en plus brutales afin d’asseoir leur contrôle sur les communautés dont ils extraient des ressources. Les institutions de l’État n’exercent que peu ou pas de contrôle réel sur la criminalité : nombre d’entre elles manquaient déjà de ressources et d’autorité au moment de l’assassinat de Moïse et se sont encore affaiblies depuis. Cette situation a permis aux gangs de renforcer leurs activités de prédation sans rencontrer de résistance significative.

Les groupes armés pillent et incendient des maisons, mutilent et assassinent des gens et brûlent des corps à la vue de tous.

Les gangs se sont également renforcés ces dernières années en s’alliant à d’autres groupes armés pour former sept grandes coalitions qui cherchent à obtenir la suprématie dans tout le pays. Dans leur quête d’expansion, ces coalitions de gangs ciblent de plus en plus les civils, punissent ceux qui sont soupçonnés de collaborer avec des groupes rivaux, instillent la peur parmi les habitants en menant des enlèvements, des extorsions et en instaurant des péages routiers illégaux. Les groupes armés pillent et incendient des maisons, mutilent et assassinent des gens et brûlent des corps à la vue de tous. Les gangs ont également recours à la violence sexuelle, notamment au viol collectif systématique, en particulier des femmes, des jeunes filles et des personnes LGBTQI+, pour assujettir la population locale.

Qu’est-ce que le mouvement d’autodéfense Bwa Kale ?

Bwa Kale – ou « bois pelé », en créole haïtien – fait référence aux groupes d’autodéfense qui se sont multipliés pour contrer les gangs en Haïti. Le nom vient d’une expression utilisée pour la première fois par des manifestants lors des mouvements de masse contre le Premier ministre intérimaire Ariel Henry, en 2022. Elle est désormais utilisée pour décrire un soulèvement de personnes qui veulent empêcher les gangs de s’emparer de leurs quartiers. Le vigilantisme a atteint son paroxysme le 24 avril, avec la rumeur d’une attaque à grande échelle imminente de Port-au-Prince par des membres de gangs. Alors que la panique grandissait, la police a intercepté un minibus à Canapé-Vert, un quartier d’une banlieue sud de la capitale, dans lequel plusieurs individus transportaient des armes, censées être utilisées par des gangs. La nouvelle s’est rapidement répandue et une foule s’est rassemblée autour des membres présumés des gangs, leur jetant des pierres et en mettant le feu aux corps alors que certains étaient encore en vie. Treize d’entre eux sont morts.

Les images de l’attaque sont devenues virales sur les réseaux sociaux et semblent avoir inspiré des actes de violence similaires : de nombreux lynchages ont été signalés dans différents quartiers de la capitale dans les jours qui ont suivi. Enhardis par ces événements, ainsi que par la nouvelle de la mort du puissant chef de gang Ti Makak le même jour, de plus en plus de personnes ont mis en place et rejoint des groupes d’autodéfense pour agir contre les attaques de gangs dans leurs quartiers. Pour le seul mois d’avril, les organisations internationales ont enregistré 164 cas d’exécutions et de lynchages de membres présumés de gangs.

Le mouvement Bwa Kale a attiré l’attention internationale au cours des derniers mois, mais le vigilantisme n’est pas nouveau en Haïti.

Le mouvement Bwa Kale a attiré l’attention internationale au cours des derniers mois, mais le vigilantisme n’est pas nouveau en Haïti. Des groupes connus sous le nom de « brigades de vigilance » existent depuis des décennies et ils ont tendance à reprendre leurs activités pendant les périodes d’instabilité politique ou après des catastrophes naturelles, pour répondre à ce qu’ils considèrent comme l’incapacité des forces de sécurité de l’État à protéger les civils. Un rapport des Nations unies a recensé près de 500 lynchages entre 2012 et 2015, période durant laquelle le pays a dû faire face aux conséquences du cyclone Sandy et à une épidémie de choléra. Selon le Bureau des droits de l’homme des Nations unies, il y a eu, même avant la nouvelle accélération, 75 épisodes d’attaques de groupes d’autodéfense au cours des seuls trois premiers mois de l’année 2023. Les responsables politiques et les groupes de la société civile n’ont pas tous appelé les citoyens à renoncer à ces actions. Dans un communiqué de presse publié début mars, la ministre de la Justice a d’ailleurs rappelé les dispositions constitutionnelles permettant aux citoyens de se défendre en cas d’effraction et de pillage. Deux semaines plus tard, dix-huit organisations de la société civile haïtienne ont appelé les citoyens à former des groupes d’autodéfense pour empêcher les gangs de s’emparer de nouveaux territoires.

Les groupes d’autodéfense semblent être principalement constitués de jeunes volontaires et sont, jusqu’à présent faiblement organisés. Des sources ont indiqué à Crisis Group que, même si certains groupes communiquent entre eux, il n’existe aucune preuve d’une coopération systématique entre les brigades des différents quartiers ou d’une chaîne de commandement verticale qui dirigerait les opérations. Les membres sont chargés de mettre en place des points de contrôle à des endroits stratégiques en dehors de certaines villes ou de certains quartiers où ils ont érigé des barricades. Ils vérifient les documents d’identité et fouillent les personnes qui entrent et sortent afin de s’assurer qu’aucun individu armé ne pénètre dans la zone surveillée. Ces brigades font respecter des couvre-feux que les habitants établissent de manière informelle et effectuent également des patrouilles par groupes de plus d’une dizaine de personnes. Leurs membres ne reçoivent aucune rémunération officielle, mais les habitants leur donnent souvent de la nourriture, des machettes et des cigarettes.

Une collaboration informelle s’est mise en place entre les groupes d’autodéfense et les forces de sécurité de l’État. Les représentants de la police se félicitent de ce qu’ils appellent un « mariage » entre la population et les forces de l’ordre pour lutter contre les gangs. Des sources contactées par Crisis Group affirment que des agents de police en activité ou d’anciens policiers qui vivent dans les quartiers défendus par les brigades d’autodéfense ont rejoint les rondes de vigilance de manière informelle et ont permis, à l’occasion, aux groupes d’utiliser leurs armes. La méfiance persistante à l’égard de la police a cependant empêché jusqu’à présent un partenariat plus organisé entre les groupes d’autodéfense et les forces de l’ordre.

Dans d’autres régions, des civils se sont alliés à des groupes armés pour lutter contre certains gangs. Dans les villages de la vallée de l’Artibonite par exemple, les habitants soutiennent une coalition de gangs dirigée par un chef connu sous le nom de Ti Mépris pour lutter contre d’autres groupes, notamment Gran Grif, Kokorat San Ras et d’autres plus petits, qui tentent d’étendre leur territoire. En raison de la faible présence policière dans cette région, les autorités affirment que la seule option pour les habitants reste de s’associer aux groupes dirigés par Ti Mépris, qui, selon eux, les protègeront des attaques des bandes rivales.

Quels ont été les effets de la montée en puissance de Bwa Kale ?

La montée en puissance du mouvement Bwa Kale s’est accompagnée d’une apparente diminution de la violence des gangs. Alors que les gangs avaient multiplié les enlèvements pour atteindre un niveau record au cours des premiers mois de 2023, une étude du Centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme a révélé que les enlèvements avaient fortement diminué depuis le 24 avril, ce qui reflète probablement l’émergence des groupes d’autodéfense. L’étude montre également que les homicides et autres crimes attribués aux gangs avaient fortement baissé depuis l’apparition du mouvement. Plusieurs commentateurs haïtiens interrogés par Crisis Group ont déclaré que sans le mouvement Bwa Kale, les gangs auraient continué à s’étendre jusqu’à contrôler l’ensemble de la capitale et ses environs. De nombreux gangs se sont repliés dans leurs bastions pour la première fois depuis des années pour éviter le risque d’être confrontés à une violence incontrôlée.

Après des années d’insécurité montante, il n’est pas surprenant que le mouvement ait gagné le soutien de tant d’Haïtiens

Après des années d’insécurité montante, il n’est pas surprenant que le mouvement ait gagné le soutien de tant d’Haïtiens, qui ont encouragé cette campagne orchestrée par des citoyens que l’État avait abandonnés à leur sort. Des groupes politiques tels que l’Accord de Montana – une large coalition de groupes politiques et de la société civile qui soutiennent ce qu’ils appellent une « solution haïtienne  à la crise » – ont encouragé le mouvement d’autodéfense, soulignant que le droit à la légitime défense est sacré, tout en mettant en garde ces groupes contre les risques de dérive. Certains représentants de l’État, en revanche, ont tenté de décourager les Haïtiens de rejoindre Bwa Kale, alors même que la baisse de la violence avait donné un peu de répit au gouvernement. Ariel Henry, le Premier ministre par intérim, a notamment, après le lynchage à Canapé-Vert, appelé les civils à ne pas se faire justice eux-mêmes, les exhortant plutôt à travailler main dans la main avec la police en fournissant des informations pour permettre l’arrestation des membres des gangs.

Certaines personnalités tentent également d’exploiter la popularité du mouvement pour accroître leur notoriété. C’est le cas de Marcelin Mertil, un activiste proche de Martine Moïse, épouse du président assassiné, qui a été vu dans de nombreuses vidéos en train de distribuer de grandes quantités de machettes dans certains des quartiers les plus pauvres de la capitale. Même le chef de la coalition de gangs G9, Jimmy « Barbecue » Chérizier, s’efforce de retourner le mouvement en sa faveur, affirmant que les gangs qu’il représente soutenaient pleinement Bwa Kale. Chérizier cherche à se forger une image de responsable politique au service de la population. Il a d’ailleurs affirmé que la coalition armée qu’il dirigeait n’était pas impliquée dans les enlèvements, malgré le grand nombre de crimes odieux commis par ses partisans.

Comment expliquer l’incapacité des forces de sécurité haïtiennes à juguler les gangs ?

L’ascension du mouvement Bwa Kale s’est produite dans un contexte d’échec total des forces de l’ordre haïtiennes à lutter contre la violence des gangs. Cet échec est, à son tour, le résultat d’un effondrement plus large de l’État. Il n’y a pas eu d’élections depuis 2016, ce qui signifie que depuis janvier il n’y a plus de responsables élus en Haïti. La plupart des services publics fonctionnent au ralenti, et les juges, les médecins, les enseignants et le personnel de la compagnie d’électricité ont entamé de longues grèves pour réclamer des augmentations et le paiement de leurs salaires en temps et en heure.

Les efforts déployés pour doper les effectifs et améliorer les capacités opérationnelles de la police nationale haïtienne n’ont pas été à la hauteur de l’ampleur de la criminalité à laquelle le pays est confronté. Il est tout à fait clair que ce sont les gangs qui ont le dessus. Depuis le début de l’année, trois commissariats de police ont été saccagés et incendiés ou totalement détruits par des membres de gangs, et 29 policiers ont été sauvagement assassinés et des photos des cadavres sont souvent diffusées par les gangs sur les réseaux sociaux. Les demandes des policiers à disposer d’un équipement plus performant et de davantage d’armes de gros calibre n’ont toujours pas été satisfaites, malgré les progrès signalés dans le renforcement des unités spéciales de la police.

Un grand nombre d’agents de police ont abandonné leur poste, tandis que d’autres ont tenté de quitter le pays. La nouvelle représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies pour Haïti, María Isabel Salvador, a indiqué que les forces de police ne comptaient plus qu’environ 9 000 agents, dont seulement un total de 3 500 en service actif dans tout le pays à un moment donné. Seuls 1 300 nouveaux agents ont été recrutés et formés au cours des trois dernières années. Les taux de défection élevés ont affaibli les forces de police qui sont loin des plus de 25 000 policiers dont Haïti devrait disposer pour atteindre le ratio de policiers par habitant recommandé par les missions de l’ONU. Le manque d’efficacité de la police est aggravé par la collusion de ses agents avec les gangs : des experts ont estimé qu’environ la moitié des forces de police a des liens avec des groupes armés illégaux.

Le Bwa Kale est-il une solution à la violence en Haïti ?

Il n’y a pas de solutions optimales pour faire face à la crise sécuritaire du pays, mais le vigilantisme n’est pas une réponse adéquate. D’une part, il est très peu probable que les actions d’autodéfense parviennent à faire plier les gangs. Les groupes d’autodéfense ont jusqu’à présent parfois réussi à empêcher les groupes armés d’étendre leur emprise territoriale, mais des représentants de la société civile locale ont expliqué à Crisis Group qu’il était peu probable qu’ils parviennent à expulser les gangs de leurs bastions, à savoir les zones les plus touchées par la violence des gangs. Une personne vivant dans un quartier de Port-au-Prince contrôlé par l’un des gangs les plus puissants l’a clairement expliqué à Crisis Group : « Ici, le moindre signe de réaction contre eux marque votre arrêt de mort ».

Les gangs ont commencé à se rebeller contre le mouvement Bwa Kale et à étendre à nouveau leur contrôle territorial.

Par ailleurs, les gangs ont commencé à se rebeller contre le mouvement Bwa Kale et à étendre à nouveau leur contrôle territorial. En moins d’une semaine, le gang Kraze Baryè aurait saccagé et incendié les résidences privées de deux anciens membres du parlement, ainsi que les locaux du consulat jamaïcain, situé à moins de deux kilomètres de l’ambassade des États-Unis à Port-au-Prince. Le chef de gang Johnson André, alias « Izo 5 Secondes », a récemment proféré des menaces à l’encontre des habitants de plusieurs quartiers ayant rejoint le mouvement Bwa Kale. Ces menaces ne sauraient être prises à la légère. André a été impliqué dans le massacre perpétré le 19 avril par des groupes armés à Source-Matelas, un village où une centaine de civils ont été tués en représailles à la mise en place d’une brigade de vigilance. Certains observateurs craignent que les bandes organisent des offensives à grande échelle contre les civils pour les dissuader de poursuivre leurs actes de résistance.

En outre, même s’ils ont parfois triomphé des gangs, les groupes d’autodéfense soulèvent un certain nombre de préoccupations. Des défenseurs des droits humains, et d’autres groupes, s’inquiètent de la détérioration de l’état de droit en Haïti. Ils sont alarmés par la croissance et la popularité du mouvement Bwa Kale, ainsi que par le soutien (manifeste ou tacite) qu’il a reçu de la part de nombreux responsables politiques. Ils insistent sur le fait qu’il n’existe aucune garantie pour protéger les innocents contre des exécutions sommaires par les brigades d’autodéfense, ce qui expose les citoyens ordinaires à de plus en plus de risques. À la recherche de personnes liées à des membres qui pourraient faire partie de gangs, des civils se sont, par exemple, emparés des téléphones portables des victimes de lynchage pour rechercher leurs proches, en particulier les conjointes des hommes armés. Dans certains cas, ces personnes ont ensuite été tuées. Des représentants d’organisations locales de défense des droits humains ont déclaré à Crisis Group qu’ils avaient ouvert des enquêtes sur des cas rapportés de violence commises par des groupes d’autodéfense contre des individus n’ayant aucun lien avec des gangs.

Comment agir ?

Compte tenu de la faiblesse des forces de sécurité haïtiennes, il semble peu probable que l’État soit en mesure de juguler à court terme la violence par ses propres moyens. En octobre 2022, Ariel Henry a demandé au secrétaire général des Nations unies de déployer des forces internationales spécialisées pour soutenir la police. D’après des sondages, la plupart des Haïtiens sont favorables à ce plan d’action même si c’est à contrecœur. L’histoire des interventions internationales ratées est en effet encore très présente dans les esprits et fait résonner des échos douloureux du passé colonial. Pourtant, la majorité de la population ne voit guère d’autres solutions pour mettre fin à l’effroyable violence qui règne dans le pays. Mais les risques opérationnels considérables liés à un tel déploiement multinational n’ont pas motivé les partenaires internationaux d’Haïti qui sont restés très réticents à l’idée de mener une telle mission. Dans une deuxième lettre envoyée aux Nations unies début juin pour réitérer son appel à l’envoi de forces spéciales internationales, Ariel Henry a insisté sur le fait qu’une proposition concrète des Nations unies sur le cadre opérationnel d’une telle mission – comprenant des détails sur sa composition, sa durée et son financement – pourrait aider à encourager les gouvernements étrangers encore indécis quant à l’envoi de troupes. Le Conseil de sécurité de l’ONU doit discuter de la situation en Haïti lors d’une réunion le 6 juillet, et des sources ont indiqué à Crisis Group que certaines délégations, dont peut-être les États-Unis, pourraient tenter de profiter de cette occasion pour évoquer la possibilité d’envoyer une mission de sécurité.

Le défi reste de taille. L’histoire des interventions en Haïti est mouvementée, et le secrétaire général des Nations unies lui-même a récemment souligné que les contributeurs potentiels de troupes hésitaient à envoyer des forces en raison de l’impasse politique qui a empêché la mise en place d’une coalition plus large pour soutenir le régime de transition. Crisis Group a déjà recommandé qu’aucune force ne soit déployée tant qu’une masse critique des principales forces politiques du pays ne se sera pas mise d’accord pour travailler ensemble à la formation d’un gouvernement de transition et ne se sera pas engagée à soutenir la mission. En attendant, les pays bailleurs de fonds s’efforcent, à juste titre, d’apporter un soutien plus tangible à la police nationale haïtienne pour l’aider à rétablir un minimum de sécurité le plus rapidement possible.

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