De nouvelles lignes de bataille déchirent Haïti sur fond d’impasse politique
De nouvelles lignes de bataille déchirent Haïti sur fond d’impasse politique
Members of the Haitian National Police patrol a street as ongoing gun battles between rival gangs have forced residents to flee their homes, in Port-Au-Prince, Haiti April 28, 2022. REUTERS / Ralph Tedy Erol
Q&A / Latin America & Caribbean 13 minutes

De nouvelles lignes de bataille déchirent Haïti sur fond d’impasse politique

Les guerres de territoire de plus en plus meurtrières entre des coalitions de gangs rivales révèlent la profondeur du marasme politique dans lequel est plongé Haïti. Dans ce Q&A, Crisis Group examine les liens profonds qui existent entre les deux phénomènes.

Quelles sont les causes de la montée de la violence en Haïti, et dans quelle mesure l’environnement sécuritaire a-t-il changé depuis l’assassinat du président en 2021 ?

La sécurité en Haïti s’est fortement détériorée depuis que le président Jovenel Moïse a été abattu dans sa résidence privée aux premières heures du 7 juillet 2021. Des affrontements entre gangs (nom donné aux bandes armées en Haïti) ont provoqué des centaines de morts violentes au cours des derniers mois. Alors qu’on ignore toujours qui est derrière l’assassinat du président, les bandes armées haïtiennes ont exploité l’instabilité qui en a découlé pour étendre leur emprise au-delà des assises territoriales qu’elles détenaient depuis des décennies. Les guerres intestines qui en ont résulté ont été brutales. Des organisations de défense des droits de l’homme ont recensé plus de 1 200 enlèvements en 2021, soit près de deux fois plus qu’en 2020 et cinq fois plus qu’en 2019. Les homicides ont quant à eux augmenté d’au moins 17 pour cent, et le nombre réel pourrait être considérablement plus élevé, beaucoup d’entre eux n’étant pas déclarés.

Les récentes violences entre gangs rivaux démontrent la gravité de la crise sécuritaire. Entre le 24 avril et le 6 mai, les affrontements ont fait au moins 188 morts et déplacé plus de 16 000 personnes dans la capitale Port-au-Prince, qui compte près de 3 millions d’habitants. Dans le bidonville voisin de Cité Soleil, des échanges de coups de feu ont commencé le 7 juillet et fait rage pendant dix jours, faisant au moins 300 morts et 160 blessés. Cette aggravation des combats dans les quartiers nord et nord-est de Port-au-Prince menace de couper la capitale du reste du pays. Profitant d’une accalmie toutefois tendue, le maire de Cité Soleil a ouvert un couloir humanitaire pour permettre aux agences de l’ONU d’acheminer de l’aide aux résidents les plus vulnérables, mais certaines sources craignent que les violences ne reprennent à tout moment. Les affrontements, qui ont déjà bloqué une route reliant la capitale au sud du pays, entravent la circulation sur deux des artères menant au nord. Le 10 juin, des membres du gang Village de Dieu se sont emparés du tribunal de première instance de Port-au-Prince, la plus grande juridiction du pays. La police n’a pas encore tenté de reprendre le contrôle de l’édifice, et certains pensent que les bandes armées pourraient chercher à s’emparer d’autres bâtiments publics, notamment du Parlement haïtien.

Beaucoup en Haïti voient [premier ministre Henry] comme le nouveau visage du système de corruption politique qui sévit dans le pays.

Rien ne semble à même d’endiguer la rapide progression des gangs, étant donné l’absence de gouvernement légitime depuis l’assassinat de Moïse. Si la communauté internationale soutient Ariel Henry, qui fait office de premier ministre par intérim depuis 2021, beaucoup en Haïti le voient comme le nouveau visage du système de corruption politique qui sévit dans le pays. Des fonctionnaires haïtiens ont divulgué des rapports accusant Henry d’entraver l’enquête sur la mort de Moïse, certains allant jusqu’à suggérer que le premier ministre par intérim a des liens directs avec les commanditaires du meurtre, ce qu’il nie en bloc. Une coalition de plus de 180 partis politiques et organisations de la société civile, connue sous le nom d’Accord de Montana, conteste le mandat d’Henry. Elle propose une « solution haïtienne » incluant un gouvernement de transition de deux ans, formé par des représentants des différents secteurs de la société. Les discussions entre Henry et les membres de l’accord n’ont pas abouti.

Cette vacance du pouvoir a laissé libre cours aux bandes armées, qui tuent, kidnappent et extorquent sans grande résistance de l’Etat. Des sources ont indiqué à Crisis Group que les chefs de gangs cherchent à consolider le contrôle des quartiers les plus peuplés avant la tenue de nouvelles élections, ce qui leur permettrait de contraindre les habitants à voter pour certains candidats et leur fournirait un moyen de pression conséquent dans leurs négociations avec les politiques.

Quels sont les principaux gangs haïtiens et pourquoi se battent-ils ?

Il existe environ 200 gangs en Haïti, dont 95 opèrent dans la métropole de Port-au-Prince. Historiquement, ils ont établi leurs bastions dans les bidonvilles surpeuplés de la capitale. Ces quartiers ont une grande valeur politique en raison de leur forte population, et leur manque de planification urbaine les rend faciles à défendre contre les forces de sécurité de l’Etat, leurs routes étroites et non revêtues étant difficiles d’accès pour les véhicules. Lorsque les forces de sécurité tentent malgré tout d’y pénétrer, les gangs utilisent souvent les habitants comme boucliers humains. Au-delà de la capitale et de ses environs, les gangs ont également pris pied dans des villes telles que Cap Haïtien, Gonaïves, Les Cayes, Jérémie et Jacmel – autant de ports dotés d’une forte densité de population et reliés aux routes principales.

Bon nombre de gangs haïtiens se sont regroupés en deux grandes alliances : le G9 an Fanmi e Alye (ou G9), que dirige l’ancien agent de police Jimmy « Barbecue » Chérizier, et le GPèp la (ou Gpèp), mené par Gabriel Jean Pierre, alias « Ti Gabriel ». La création officielle du G9 remonte à juin 2020, lorsque les chefs de neuf grands gangs de Port-au-Prince ont formé une coalition pour s’assurer une suprématie armée. Après avoir invité toutes les bandes armées de Cité Soleil à les rejoindre, ils ont lancé une attaque coordonnée contre ceux qui avaient refusé. Le mois suivant, Ti Gabriel, alors chef de la bande du Nan Brooklyn, a rassemblé tous les réfractaires sous la bannière du Gpèp.

Certains gangs ont publiquement décapité des opposants, brûlé des cadavres dans la rue, incendié des maisons et utilisé la violence sexuelle pour intimider les habitants et les dissuader de collaborer avec leurs rivaux.

Avec le G9 et le Gpèp en lice pour l’ascendant global, une guerre opposant deux groupes de gangs sur plusieurs fronts a supplanté les anciennes rivalités locales. Le Gpèp s’est progressivement agrandi pour résister à la montée en puissance du G9, et l’alliance dépasse maintenant les confins de Cité Soleil. Les combats ont pris de l’ampleur, forçant les civils à se confiner chez eux pour éviter d’être pris entre deux feux. Certains gangs ont publiquement décapité des opposants, brûlé des cadavres dans la rue, incendié des maisons et utilisé la violence sexuelle pour intimider les habitants et les dissuader de collaborer avec leurs rivaux. Les effets de cette violence sont de plus en plus pernicieux. Le blocage de la Route Nationale 2, qui relie Port-au-Prince au sud, entrave aussi le travail des organisations humanitaires qui tentent de porter assistance aux victimes du tremblement de terre qui a détruit les villes du sud en août 2021.

Le gang le plus puissant de Port-au-Prince, le 400 Mawozo, était resté en retrait jusqu’en avril, mais il a désormais rejoint la bataille. Ce gang, qui a construit son pouvoir autour de la commune de Croix-de-Bouquets, dans la banlieue nord-est de la capitale, est devenu célèbre à l’international en 2021, lorsqu’il a enlevé dix-sept missionnaires chrétiens venus des États-Unis et du Canada. En avril, les gangs du Gpèp établis à Cité Soleil et le 400 Mawozo ont mené plusieurs attaques coordonnées, montrant ainsi que les deux groupes ont scellé une alliance de circonstance. Des sources ont indiqué à Crisis Group que l’assistance du 400 Mawozo a été indispensable pour le Gpèp, qui aurait rapidement succombé au G9 en l’absence de soutien extérieur.

Quelle est la relation entre les groupes criminels, le pouvoir politique et la richesse ?

Si les politiciens et l’élite économique ont historiquement exploité les gangs pour obtenir et exercer le pouvoir en Haïti, les criminels ont gagné en autonomie ces dernières années. Tandis que les puissantes organisations paramilitaires contrôlées par le pouvoir exécutif trouvent leurs origines dans la dictature de Duvalier (1957-1986), les organisations dont découlent les gangs d’aujourd’hui sont nées pendant la deuxième présidence de Jean Bertrand Aristide, entre 2001 et 2004. Durant cette période, des jeunes principalement issus des quartiers pauvres du nord de Port-au-Prince ont formé des groupes armés extralégaux. Connus sous le nom de chimères, ces groupes devaient aider le parti Fanmi Lavalas d’Aristide à consolider son pouvoir tout en dissuadant ses adversaires de le renverser. Aristide était mal vu des élites haïtiennes, mais aussi des anciens membres des forces armées, qu’il avait dissoutes en 1995 (pendant sa première présidence) par crainte qu’elles n’entravent la consolidation de la démocratie en tentant un coup d’Etat.

Moïse n’a pas hésité à utiliser les gangs pour fortifier sa position politique. En juillet 2018, des manifestations ont éclaté après que le gouvernement a annoncé une forte hausse des prix du carburant. Des scandales de corruption les ont ensuite alimentées pendant deux ans. Pour tenter de les contenir, de hauts fonctionnaires – y compris au ministère de l'Intérieur – auraient aidé à planifier trois massacres de dissidents, au cours desquels des membres de gangs, qui auraient bénéficié de la protection d’agents de la police nationale haïtienne, ont tué au moins 240 personnes à La Saline, Bel-Air et Cité Soleil. Ces trois quartiers pauvres de Port-au-Prince étaient considérés comme des foyers d’agitation anti-Moïse. Les États-Unis ainsi que plusieurs organisations de défense des droits de l’homme ont accusé le chef du G9, Chérizier – qui faisait jusqu’en 2018 partie d’une unité spéciale de la police – d’être responsable de ces attaques.  

Moïse et ses alliés ont nié tout lien avec le G9 et une quelconque implication dans les massacres. Le porte-parole de la Commission nationale de désarmement, démobilisation et réintégration de l’Etat, que le défunt président avait réactivée en 2019 pour promouvoir le désarmement des bandes armées, a toutefois déclaré que ces groupes se sont réorganisés – et ainsi renforcés – après que la Commission a encouragé leurs dirigeants à former une coalition pour faciliter les négociations avec le gouvernement.

[Les gangs] continuent néanmoins à compter sur les hommes d’affaires pour obtenir des subventions et sur les politiciens pour se protéger contre la police et la justice.

Malgré leurs liens avec les élites haïtiennes, les motivations des groupes criminels relèvent rarement de considérations politiques. La plupart de leurs alliances sont plutôt fondées sur un échange de bons procédés. Les élites s’appuient sur la violence des gangs pour supprimer leurs opposants politiques, influencer les résultats électoraux et s’assurer des monopoles économiques. En retour, les gangs utilisent leurs relations avec les élites pour obtenir des fonds, des armes et des munitions, ainsi que l’impunité pour leurs crimes. Les gangs ont diversifié leurs sources de financement, qui comprennent aujourd’hui l’enlèvement contre rançon, l’extorsion d’entreprises – les sociétés de transport public, notamment – et le trafic d'armes et de drogues. Elles continuent néanmoins à compter sur les hommes d’affaires pour obtenir des subventions et sur les politiciens pour se protéger contre la police et la justice.

Ces relations ont cependant subtilement évolué au cours des derniers mois. La puissance militaire du G9 semble avoir nourri chez Chérizier un désir de pouvoir politique. Dans une vidéo devenue virale, il a déclaré que le G9 était une force révolutionnaire opposée à l'ensemble du pouvoir politique en place (à l'exception, apparemment, de Moïse, qu’il a qualifié de protecteur des pauvres). Quelques jours après le meurtre de Moïse, des hommes lourdement armés appartenant au G9, suivis de centaines de personnes, ont défilé dans les rues de Port-au-Prince pour rendre hommage au président, tandis que Chérizier affirmait que sa mort serait vengée. Le 17 octobre 2021, ses hommes ont forcé Henry et sa garde rapprochée à fuir une commémoration officielle. Plus tard dans la journée, ils ont bloqué l’accès au plus grand terminal pétrolier du pays. Durant ce blocage, qui a duré presqu’un mois et généré de graves pénuries de carburant à Port-au-Prince et dans d’autres villes, Chérizier exigeait également la démission du premier ministre. Bien qu’Henry n’ait pas quitté ses fonctions, le gouvernement a entamé des négociations avec le G9 pour reprendre les livraisons de carburant. Les termes de leur accord final n’ont jamais été rendus publics.

Pourquoi la police haïtienne n’a-t-elle pas pu juguler la progression des gangs ? Que faut-il faire pour rendre la réponse sécuritaire plus efficace ?

La police nationale d’Haïti, seule force de sécurité étatique mandatée pour lutter contre la violence criminelle, a tristement échoué dans sa mission. Sa création remonte à 1995, l’année même où Aristide a dissous les forces armées. La police nationale dispose de plus de dix unités spécialisées dans la lutte contre le crime organisé, mais elle se heurte à divers obstacles dans sa lutte contre les gangs. Aux côtés de la MINUSTAH (la force de maintien de la paix des Nations unies ayant opéré de 2004 à 2017), les unités de police ont réduit la criminalité violente dans les quartiers difficiles de Port-au-Prince. Elles n’ont cependant pas réussi à démanteler les bandes armées. L’une des raisons de cet échec tient au manque de succès des campagnes de réintégration sociale ciblant les membres de ces groupes, dont la plupart n’ont pas voulu rendre les armes.

Aujourd’hui, malgré les dizaines de millions de dollars d’aides qui lui ont été versées au cours des 25 dernières années, la police haïtienne manque d’équipement, d’effectifs et de moyens financiers. La police n’a pas réussi à accroître ses effectifs depuis la fin de la mission onusienne. Avec moins de 16 000 agents en service actif, le nombre d’agents de police par habitant est inférieur à ce que recommandent les missions des Nations unies. Bien que Washington ait levé l’embargo sur les armes qui avait été instauré au milieu des années 1990, l’exécutif doit encore notifier toute vente au Congrès et les États-Unis ne prévoient aucune vente d’armes à la police haïtienne. Les membres de groupes armés illégaux, en revanche, n’ont aucun mal à acquérir des armes sophistiquées et de gros calibre sur le marché noir.

Un expert ... estime qu’environ 40 pour cent de ses agents sont directement ou indirectement liés à des bandes armées.

Comme l’a noté Crisis Group, l’essor de la collusion entre forces de sécurité étatiques et groupes armés illégaux repose en grande partie sur le silence des politiques face aux agents corrompus et l’utilisation de la police (et des gangs) pour servir les intérêts des personnes au pouvoir. Un expert connaissant bien le fonctionnement de la police haïtienne estime qu’environ 40 pour cent de ses agents sont directement ou indirectement liés à des bandes armées. C'est notamment le cas du chef du G9, Chérizier, qui rappelle fréquemment qu’il a été policier pendant quatorze ans. Chérizier a en effet dirigé pendant plusieurs mois un gang notoire, le Delmas 6, tout en étant membre d’une unité spéciale de la police consacrée à la lutte contre les groupes criminels. Le moteur de la collusion n’est d’ailleurs pas seulement financier. Pour de nombreux policiers, travailler avec les gangs est une question de survie. Beaucoup d’entre eux vivent dans des quartiers pauvres contrôlés par des groupes armés : bien qu’ils puissent parfois choisir de ne pas collaborer avec eux, les affronter les conduirait à une mort certaine.

Si les forces de police ont dans la plupart des cas été incapables de répondre aux menaces sécuritaires auxquelles est confronté Haïti, il existe quelques exceptions notables. Au lendemain de l’assassinat de Moïse, la police a rapidement arrêté plus de 40 suspects. Bien qu’aucun d’entre eux n’ait été traduit en justice, cette opération démontre que la police peut agir rapidement lorsqu’elle le souhaite. Autre exemple : le ciblage systématique du gang 400 Mawozo par les forces de l’ordre, qui a limité sa capacité à mener des enlèvements et à réclamer des rançons, sa principale source de financement.

Quel type d’assistance les partenaires internationaux d’Haïti pourraient-ils apporter pour atténuer les violences et en prévenir de nouvelles ?

Les partenaires d’Haïti devraient augmenter leur soutien financier et technique pour renforcer les capacités des forces de sécurité, qui se sont beaucoup affaiblies au cours de l’année écoulée. Le directeur de la police nationale a reconnu en mai que plus de 1 000 agents avaient récemment abandonné leur poste en raison de la précarité de leurs conditions de vie et de travail. Une refonte complète de la police impliquerait de renforcer la collecte de renseignements, de créer un groupe de travail spécialisé dans la lutte contre les gangs (ce qui est déjà en cours) et de renforcer les structures de surveillance pour lutter contre l’infiltration des gangs.

Les partenaires internationaux devraient également faire plus d’efforts pour mettre fin à la contrebande d’armes vers Haïti. Le mois dernier, les autorités ont intercepté quatre cargaisons d’armes à Port-au-Prince et Port-de-Paix, toutes en provenance des États-Unis. Ces opérations font suite au licenciement du directeur de l’Administration générale des douanes haïtiennes, qui fait l’objet d'une enquête pour trafic d'armes et blanchiment d'argent. Les autorités gouvernementales ont jusque-ici peu surveillé les ports, mais des accords de coopération internationale dans ce domaine pourraient aider l’Etat haïtien à renforcer sa surveillance des cargaisons.

Une stratégie axée uniquement sur la sécurité serait toutefois insuffisante. Crisis Group a recommandé aux bailleurs de fonds d’envisager d’accompagner la mise en place d’un bureau spécialisé, appuyé par des partenaires internationaux, pour aider à enrayer la corruption au sein des forces de police et à surmonter l’impunité dont jouissent les élites politiques et économiques. Pour réduire la violence sur le long terme, un processus de démobilisation offrant une porte de sortie et de réels modes de subsistance alternatifs aux membres des bandes armées sera également indispensable. Ces politiques sont toutefois coûteuses à mettre en œuvre et Haïti, le pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental, est confronté à une crise économique éprouvante en l’absence de fonds extérieurs. Une initiative du Programme des Nations unies pour le développement créant un fonds multi-bailleurs pour renforcer la capacité opérationnelle et la collecte de renseignements des forces de sécurité a recueilli moins d’un tiers de son objectif de financement, qui s’élève à 28 millions de dollars. Le gouvernement américain a cependant récemment annoncé une aide supplémentaire de 48 millions de dollars pour la sécurité.

Les Haïtiens éprouvent du ressentiment à l’égard de ce qu’ils voient comme une longue suite d’interventions étrangères

Au-delà des coûts financiers, la place à laisser à l’aide étrangère reste sujet à grande controverse en Haïti. Les Haïtiens éprouvent du ressentiment à l’égard de ce qu’ils voient comme une longue suite d’interventions étrangères qui, au mieux, n’ont pas donné grand-chose et, au pire, ont nui à leur pays. Leur animosité est particulièrement vive à l’égard des Nations unies, après que des soldats de la MINUSTAH quittant le pays ont abandonné des centaines de jeunes filles et de femmes qu’ils avaient mises enceintes. L’ONU a également refusé d’indemniser Haïti lorsque ses Casques bleus ont déclenché par inadvertance une épidémie de choléra qui a tué plus de 10 000 personnes. De nombreux Haïtiens n’apprécient pas non plus l’actuelle mission politique de l’ONU, le BINUH. Ses détracteurs considèrent qu’il a « lamentablement échoué », la situation politique, économique et sécuritaire n’ayant fait qu’empirer sous son égide. Les organisations de la société civile haïtienne ont également accusé le Core Group du pays (constitué de l’ONU, des ambassadeurs d’Allemagne, du Brésil, du Canada, d’Espagne, des États-Unis, de France, de l’Union européenne et d’un représentant de l’Organisation des États américains) de perpétuer un régime corrompu en soutenant le gouvernement Henry.

Malgré les appels des organisations de la société civile à mettre fin au mandat du BINUH, le Conseil de sécurité des Nations unies l’a renouvelé pour une année supplémentaire dans une résolution du 15 juillet qui met l’accent sur l’aide accordée aux autorités haïtiennes pour faire face aux crises politique et sécuritaire du pays. La résolution a non seulement appelé les États membres à interdire le trafic d’armes vers Haïti, mais elle a également menacé de sanctions ceux qui soutiennent les gangs ou participent à leurs activités. Dans les jours qui ont précédé le vote, un certain nombre de pays ont exprimé en privé leur soutien à une mission de police internationale en Haïti, même si les détails sur ses modalités éventuelles restent flous. Les acteurs extérieurs intéressés par cette option devront faire preuve de prudence, étant donné l’animosité locale à l’égard d’une intervention étrangère et la réputation entachée de l’ONU en Haïti. Ils devraient dans un premier temps travailler à renforcer l’indépendance et l’intégrité du BINUH.

Le Conseil de sécurité a également réitéré la nécessité de s’accorder urgemment sur un processus politique menant à des élections libres et équitables, insistant sur le fait que « rompre les liens entre les acteurs politiques et économiques et les bandes armées » devait être une priorité. Mais il n’a pas demandé au BINUH de travailler sur cette dernière question, et il reste à déterminer quel organisme international, s’il en existe un, pourrait mener cette action. Cela signifie que les partenaires bilatéraux du pays constitueront probablement sa principale source de pression et de soutien international. Comme Renata Segura, directrice adjointe du programme Amérique latine de Crisis Group, l’a fait remarquer dans Foreign Affairs, Haïti ne pourra pas régler ses problèmes de sécurité tant que le pays n’aura pas trouvé de solution à sa crise politique.

L’Etat haïtien est sens dessus dessous : depuis le report des élections, seul un tiers des sièges du Sénat est occupé, la chambre basse est entièrement vide et la Cour suprême ne fonctionne pas. Ces institutions fragiles opèrent aujourd’hui en dehors du cadre constitutionnel et ne peuvent même pas aspirer au monopole de la violence. Henry et les membres de l’Accord de Montana devraient de toute urgence négocier un consensus qui permettrait la mise en place d’un gouvernement de transition stable et l’élaboration un calendrier réaliste pour les élections, et les partenaires étrangers d’Haïti devraient leur rappeler l’urgence de la situation. Tant que cela ne sera pas fait, les gangs ne feront que se renforcer et l’avenir des Haïtiens restera sérieusement compromis.

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