Report / Africa 6 minutes

L’Effet Mandela: Evaluation et perspectives du processus de paix burundais

En guerre civile depuis l’assassinat du premier président élu, Melchior Ndadaye en 1993, le Burundi est à la croisée des chemins. Depuis juin 1998, le gouvernement du major Pierre  Buyoya (revenu au pouvoir en juillet 1996) est engagé dans un processus de négociations avec le FRODEBU, vainqueur des élections de 1993 ainsi qu’avec la plupart des formations politiques burundaises.

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Synthèse

En guerre civile depuis l’assassinat du premier président élu, Melchior Ndadaye en 1993, le Burundi est à la croisée des chemins. Depuis juin 1998, le gouvernement du major Pierre  Buyoya (revenu au pouvoir en juillet 1996) est engagé dans un processus de négociations avec le FRODEBU, vainqueur des élections de 1993 ainsi qu’avec la plupart des formations politiques burundaises. Ce processus, commencé sous les auspices de Julius Nyerere, est depuis décembre 1999 placé sous la responsabilité de Nelson Mandela et semble être pour la première fois sur le point d’aboutir à un accord de paix parrainé par la région et la communauté internationale. Les plus optimistes parlent de la signature d’un accord dans les prochains mois.

Après trois ans et demi d’isolement dus aux sanctions régionales et à la suspension de la coopération internationale, Mandela a insufflé un nouveau souffle au processus d’Arusha et a remis le Burundi sur l’agenda international. Sa nomination a été une victoire pour le gouvernement burundais qui, dès la mort de Nyerere, a concentré ses efforts diplomatiques à dégager le processus de négociations de l’emprise de la région et plus particulièrement de la Tanzanie, qu’il accusait de partialité. Le gouvernement reprochait à la Facilitation la méthodologie employée dans le processus d’Arusha et, plus particulièrement, la formation de groupes de négociation sur base ethnique, la-non prise en compte des efforts internes de dialogue et surtout le refus de la participation des bandes armées « dissidentes », les FDD de la branche Jean Bosco Ndayikengurukiye et les FNL de la branche Cossan Kabura dans les négociations.

La  première priorité de Mandela est de terminer le processus d’Arusha le plus vite possible.  Pour ce faire, il propose de clore le travail dans les quatre commissions (Nature du conflit ; démocratie et bonne gouvernance ; paix et sécurité ; reconstruction et développement) et de travailler directement sur un projet d’accord. Par son approche non-complaisante du conflit et son appel au sens des responsabilités de la classe politique burundaise, il a provoqué un débat salutaire sur les questions de l’amnistie des coupables de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, de l’intégration des forces rebelles dans l’armée, du partage du pouvoir et de la transition. Il a également fait pression sur le gouvernement pour démanteler les camps de regroupement à Bujumbura rural et pour permettre l’activité des partis politiques et la liberté de la presse.

Son espoir de faire aboutir le processus d’Arusha rapidement est fondé sur les progrès significatifs accomplis depuis juin 1998. Violemment rejetée en 1996 par l’opinion tutsi, l’idée de négociations avec la rébellion hutu est maintenant plus largement acceptée. La grande majorité des Burundais, fatiguée de la guerre et de leur classe politique, ne veut pas retourner en arrière et perdre les acquis de 22 mois de discussions à Arusha. Le gouvernement est quant à lui confronté à d’énormes difficultés socio-économiques. Il perd de plus en plus de crédibilité et  fait l’objet d’un fort rejet de l’opinion tutsi et de l’opinion hutu. De plus, le travail en commission a abouti à des résultats encourageants : le débat sur les enjeux du changement et de la modernisation de l’Etat et de la société burundaise a largement eu lieu ; les participants se sont mis d’accord sur la mise en place d’une commission internationale d’enquête sur les massacres depuis l’indépendance, surtout celui de l’élite hutu en 1972 et des Tutsi en 1993 et d’une commission nationale de vérité et de réconciliation ; sur la réforme des institutions et le principe d’organisation d’élections ; sur la réforme de l’armée et enfin sur un programme de  rapatriement des réfugiés et de reconstruction économique. Enfin et surtout, Mandela a réussi à obtenir une promesse des FDD et des FNL de participer à la prochaine session de la Commission III prévue fin avril.

Toutefois, la tentation d’aboutir rapidement à un accord ne doit pas faire oublier que le plus grand défi n’est pas la signature de ce document mais sa mise en application ni qu’aucun des grands compromis politiques attendus n’est encore sur la table. En premier lieu, malgré l’accord de principe de toutes les factions rebelles de participer au processus d’Arusha, un cessez-le-feu permanent n’est pas acquis. L’entrée de la rébellion dans le processus à ce stade avancé des négociations risque de remettre en question les acquis et de provoquer de nouvelles divisions  ou de nouvelles alliances. De plus, le conflit burundais ne peut être isolé de celui, à dimension quasi-continentale, de la RDC et l’application des futurs accords d’Arusha de celle de  l’application des accords de Lusaka. Les alliances tactiques entre Kabila, les ex-FAR, les Maï Maï et les FDD d’un côté et les Forces Armées Burundaises et l’Armée Patriotique Rwandaise de l’autre  ainsi  que  la  stratégie  de  Kabila  de  ramener  la  guerre  aux  frontières  des pays « agresseurs » a fait monter les enchères de la violence sur le territoire du Burundi. Aujourd’hui, il est essentiel que les rebelles burundais soient intégrés dans un processus politique strictement burundais pour éviter le risque de leur marginalisation définitive par l’accord de Lusaka, qui les qualifie déjà de « forces négatives ». Et même si un cessez-le-feu est signé entre les belligérants, l’instabilité régionale laisse ouverte aux deux parties burundaises la possibilité de remettre en question l’accord et de retourner vers une option de guerre.

En second lieu, la question de la reconnaissance du génocide et de l’amnistie, suscitent encore des réactions passionnées car les victimes et rescapés de 1993 confondent l’amnistie avec la notion d’impunité. Certains Tutsi radicaux, qui ont toujours été contre les négociations avec les « génocidaires », veulent voir reconnaître le génocide de 1993 comme préalable à la signature d’un accord à Arusha. Ils menacent même de prendre les armes si cette demande n’est pas  prise en compte. En ce qui concerne les politiciens tutsi participant à Arusha - qui ont reconnu l’existence de crimes commis de part et d’autre et la nécessité d’enquêtes - la résurgence de cette question du génocide à cette étape avancée du processus est utilisée comme une stratégie de blocage des négociations.

Enfin, la négociation sur celui qui dirigera la transition et, partant, sur les compensations obtenues par les autres prétendants au pouvoir, n’a pas encore eu lieu. En disant ouvertement que le régime en place devait considérer céder le pouvoir, Mandela a lancé le débat sur la transition et obligé le président Buyoya à sortir de sa réserve et à entamer une campagne d’explication dans la région et auprès des diplomates occidentaux sur la nécessité d’une solution « réaliste » qui assurerait une certaine continuité et stabilité. On peut faire l’hypothèse que l’intransigeance montrée par certains sur la question du génocide est en grande partie liée au débat sur le choix du dirigeant de la transition. A l’approche de l’échéance finale, et après  maints positionnements opportunistes dictés par leur perception que le prochain gouvernement sortira d’Arusha, les partis se regroupent enfin en deux camps : les pro-Buyoya et les anti- Buyoya.

Dans ce débat, les enjeux doivent être clairement posés. Il est incontestable que l’objectif ultime des négociations est que l’oligarchie en place rende le pouvoir maintenant ou plus tard et accepte le principe de la participation populaire et de l’alternance au pouvoir. La vraie question est de savoir quand et comment, car il faut absolument éviter une nouvelle vague de violence dans le pays. La dette de sang de part et d’autre est déjà trop grande et les peurs sont réelles. Or aujourd’hui, les acteurs politiques burundais hésitent encore entre les bénéfices  de  la violence et ceux de la paix, entre la continuité d’un système et la rupture avec ce système, entre leurs intérêts individuels et les intérêts de la société. Ils pourront signer un accord sous  pression, mais sa mise en application dépendra essentiellement de la qualité des négociations entre ceux qui ont à perdre dans la négociation (les acteurs du système en place) et ceux qui n’ont rien à perdre à continuer la guerre, si de véritables changements n’ont pas lieu.

Il est essentiel que le processus d’Arusha réussisse pour arrêter la violence et permettre à tous les Burundais de participer activement à la construction d’une nouvelle société libre et responsable, mais aussi pour compléter et renforcer l’accord de Lusaka et sauver la crédibilité même de l’idée de négociations comme mécanisme de résolution des conflits dans une région  où la logique des armes et de l’intolérance domine depuis des décennies.

Nairobi/Bruxelles, 18 avril 2000

Executive Summary

Involved in a civil war since the assassination in 1993 of Melchior Ndadaye, the first elected president, Burundi is now at a crossroads. Since 1998 the government of Major Pierre Buyoya (who returned to power in July 1996) has been engaged in a negotiation process with FRODEBU, winner of the 1993 elections, as well as with most of the Burundian political groups. This process, which began under the auspices of Julius Nyerere, has been in the hands of Nelson Mandela since December 1999. It finally  seems to be on the point of reaching a peace agreement sponsored by the region and the international community: the most optimistic are talking of the agreement being signed within the next few months.

After three and a half years of isolation for the country as a result of regional sanctions and the suspension of international development co-operation, Mandela has breathed new life into the Arusha process and has put Burundi back on the international agenda. His appointment was a victory for the Burundian government, which has concentrated its diplomatic efforts since Nyerere's death in releasing the negotiation process from the grip of the region, particularly that of Tanzania, which it accuses of bias. The  government has criticised the Facilitation team for the methodology applied in the Arusha process, especially its formation of negotiation groups on an ethnic basis, faillure to take internal dialogue efforts into account and, above all, refusal to allow "dissident" armed bands, the Jean-Bosco Ndayikengurukiye branch of the FDD and the Cossan Kabura wing of the FNL, to participate in the negotiations.

Mandela's first priority is to terminate the Arusha process as quickly as possible. In order to do this, he proposes to conclude work in four committees (nature of the conflict; democracy and good governance; peace and security; reconstruction and development) and work directly on a draft agreement. By his unaccommodating approach to the  conflict and his reminder to the Burundian political class that they must show a sense of responsibility, he has provoked a healthy debate on questions related to an amnesty for those guilty of war crimes and crimes against humanity, the integration of rebel forces into the army, power sharing and the transition. He has also put pressure on the government to dismantle the regroupment camps in rural Bujumbura, and to allow the political parties to become active and permit freedom of the press.

His hope for concluding the Arusha process rapidly is founded on the significant progress made since June 1998. Violently rejected by Tutsi public opinion in 1996, the idea of negotiating with the Hutu rebels is now more widely accepted. The great majority of Burundians, tired of the war and of their politicians, do not want to move backwards and lose  what  has  been  gained  over  22  months  of  discussion  in  Arusha.  As for the government, it is confronted with huge social and economic difficulties. It is losing more and more credibility and is strongly rejected by both Tutsi and Hutu public opinion. In addition, the work in committees has produced encouraging results. The debate on the stakes of change and the modernisation of the state and of Burundian society has  largely taken place. The participants have agreed on the setting up of an international commission of enquiry into the massacres that have taken place since independence, especially those of the Hutu elite in 1972 and of Tutsi in 1993, and a national committee of truth and reconciliation. Agreement has also been reached on the reform of the institutions and the principle that elections will be organised, the reform of the army, a repatriation programme for refugees and economic reconstruction. Finally and above all, Mandela has succeeded in obtaining a promise from the FDD and the FNL that they will participate at the next session of Committee III, planned for the end of April.

Nevertheless, with the tempting prospect of rapidly concluding an agreement, it must not be forgotten that the greatest challenge is not the signing of the document, but its implementation, nor that none of the major political compromises expected is yet on the table. In the first place, despite the agreement in principle of all the rebel factions to participate in the Arusha process, a permanent ceasefire has not been agreed. The rebels' entry into the process at this advanced stage in the negotiations is accompanied by the risk that what has been achieved so far will be thrown back into question and  give rise to new divisions or new alliances. In addition, the Burundian conflict cannot be isolated from that of the DRC, which is on an almost continental dimension; nor can the application of the future Arusha accords from that of the Lusaka accords. The tactical alliances between Kabila, the ex-FAR, the Mai-Mai and the FDD on the one hand, and  the Burundian Armed Forces and the Rwandan Patriotic Army on the other, as well as Kabila's strategy of bringing the war to the borders of "aggressor" countries, have raised the stakes in the violence on Burundian territory. It is now essential that the Burundian rebels are integrated into a strictly Burundian political process to avoid the risk of their being marginalised definitively by the Lusaka agreement, which already classifies them  as "negative forces". And even if a ceasefire is signed between the belligerents, the regional instability leaves open the possibility that the two Burundian parties may challenge the agreement and resort to the war option.

In the second place, acknowledgement of the genocide and the amnesty is an issue that still arouses impassioned reactions as the victims and survivors of 1993 confuse the amnesty with the notion of impunity. As a prerequisite to the signing of an agreement at Arusha, certain Tutsi radicals, who have always been against negotiating with the "genocidaires", want to see the 1993 genocide acknowledged as such. They are even threatening to take up arms if their demand is not taken into account. As regards the Tutsi politicians participating at Arusha - who have recognised the crimes committed on both sides and the necessity of enquiries - they are using the reappearance of the genocide issue at this advanced stage of the process as a tactic to block the  negotiations.

Finally, talks about who will lead the transition, and hence the compensation for the  other pretenders to power, have not yet taken place. In saying openly that the present regime must consider giving up power, Mandela has launched the debate on the transition and obliged President Buyoya to put aside his reservations and carry out a campaign in the region and among western diplomats to explain the need for  a "realistic" solution that would ensure a degree of continuity and stability. It might be assumed that the intransigence shown by some on the genocide issue is in large part related to the debate on the choice of a leader for the transition. As the end approaches, and after much opportunistic positioning dictated by the perception that the next government will be decided in Arusha, the parties are finally grouping into two camps: those for Buyoya and those against.

The stakes in this debate need to be set out clearly. It is undeniable that the ultimate objective of the negotiations is that the present oligarchy cedes power now or later and accepts the principle of an electoral process and a changeover of political  power between parties. The real question is to know when and how, for it is absolutely  essential to avoid a new wave of violence in the country. Enough blood has already been spilled on both sides and the fears are real. Yet the Burundian political actors still  hesitate today between the benefits of violence and those of peace, between the continuity of a system or its rupture, between their individual interests and the interests of society

It is essential that the Arusha process should succeed if the violence is to end and if all Burundians are to be allowed to play an active part in the construction of a new, free  and responsible society. Success is also required in order to complete and reinforce the Lusaka agreement and to save the credibility of the idea of negotiations as a mechanism for resolving conflicts in a region in which the logic of weapons and intolerance has dominated for decades.

Nairobi/Brussels, 18 April 2000

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