Briefing / Europe & Central Asia 4 minutes

Le Turkménistan après Niyazov

La mort du président turkmène Saparmurat Niyazov a été annoncée le 21 décembre 2006.

Synthèse

La mort du président turkmène Saparmurat Niyazov a été annoncée le 21 décembre 2006. Après deux décennies au pouvoir, il laisse derrière lui une éducation et un secteur de la santé en ruines, une situation de droits de l’Homme déplorable, des milliers de prisonniers politiques et une économie sous pression en dépit d’importantes exportations énergétiques. Alors que les résultats officiels devraient être annoncés dans quelques jours, il ne fait quasiment aucun doute que c’est son successeur par intérim, Gurbanguly Berdimuhammedov, qu’ils désigneront comme gagnant de l’élection présidentielle qui a été savamment orchestrée le 11 février dernier et dont les véritables opposants au régime ont été exclus. Le pays, qui revêt une importance stratégique, reste calme pour le moment ; Berdimuhammedov (avec son partenaire Akmurat Rejepov) a promis des réformes limitées. Il est cependant difficile de sonder la volonté de la nouvelle équipe dirigeante à procéder à des changements significatifs. La communauté internationale devrait éviter la tentation de lui accorder le bénéfice du doute et plutôt faire passer un message clair indiquant que des relations commerciales sérieuses et le maintien de l’aide ainsi que la fin de l’isolement du Turkménistan exigeront de ses nouveaux dirigeants qu’ils prennent des mesures pour annuler les pires politiques socio-économiques menées par Niyazov et qu’ils améliorent la situation des droits de l’Homme.

L’analyse internationale a souvent tourné en ridicule le culte de la personnalité exercé par Niyazov mais les façades des monuments de marbre et d’or dissimulaient en fait une sombre réalité. Le Turkménistan de Niyazov était l’un des régimes les plus répressifs et isolationnistes du monde. L’opposition n’y était pas tolérée et les paroles du président avaient force de loi. Des purges régulières à tous les niveaux de gouvernement maintenaient à l’écart les éventuels contestataires.

Niyazov a laissé le pays au bord d’une grave crise humanitaire et socio-économique. Le financement des institutions dans les domaines de la santé et de l’éducation a subi des réductions drastiques. Les diplômes étrangers ont été déclarés non valides et les programmes scolaires et universitaires ont été réduits, l’idéologie y occupant une place toujours plus importante. L’accès aux soins de santé a été de plus en plus limité. Étant donné que la majeure partie des revenus tirés de l’exportation d’hydrocarbures disparaissait dans des comptes hors budget offshore contrôlés par Niyazov (et dont l’état actuel est inconnu), l’économie turkmène est de plus en plus sous pression. L’agriculture est en ruines. Les programmes de Niyazov ne contenaient que peu de mesures, et le plus souvent aucune, pour en assurer la durabilité sur le plan environnemental. Les droits des citoyens faisaient l’objet d’atteintes régulières. Un exemple flagrant en fut en 2006 l’arrestation avec deux de ses collègues d’Ogulsapar Muradova, journaliste et militante des droits de l’Homme de 58 ans apparemment torturée à mort. La criminalité et la consommation de drogue sont de plus en plus visibles, en particulier hors de la capitale Achgabat.

Après la mort de Niyazov, un groupe formé autour de Berdimuhammedov, le président-adjoint du Conseil des ministres, et Rejepov, le chef de la garde présidentielle, a pris ce qui semble être un ascendant incontesté sur le pouvoir. Le fils et la fille de Niyazov ont été écartés, l’armée est sous financée et mal équipée en comparaison avec les services de sécurité et l’opposition politique est pour la majeure partie exile à l’étranger. Il est désormais peu probable que le régime soit remis en cause par des élites locales ou par des groupes islamistes radicaux.

Alors que cinq candidats “approuvés” ont été autorisés à se présenter contre Berdimuhammedov lors de l’élection présidentielle, la victoire de celui-ci n’a jamais fait aucun doute. Aucun membre de l’opposition n’a été autorisé à présenter sa candidature et toutes les structures officielles se sont mobilisées pour assurer le résultat prévu. Durant la campagne, Berdimuhammedov a promis d’améliorer l’éducation, d’augmenter les retraites et les salaires, d’accorder une plus grande attention à l’agriculture et d’offrir un accès gratuit à internet. On a laissé entendre que d’autres changements pourraient être en préparation, encore que de nouvelles atteintes aux droits de l’Homme aient également été rapportées, par exemple le massacre de détenus à la prison politique d’Owadandepe.

Il n’est pas certain que les réformes promises soient plus qu’une forme de démagogie employée pendant la campagne. Rien de concret n’a encore été fait. Il semble par contre que Berdimuhammedov et ses alliés réalisent que la trajectoire de Niyazov ne peut être maintenue. La communauté internationale devrait saluer et encourager les promesses de réforme et être prête à prêter son assistance au Turkménistan, à condition que le nouveau gouvernement s’engage véritablement par des actions concrètes. Dans l’immédiat, la communauté internationale devrait :

  • exprimer sa préoccupation concernant la nature non démocratique de la prise de pouvoir par Berdimuhammedov et exiger en échange d’une amélioration des relations et d’une plus grande assistance internationale la mise en œuvre de ces réformes ;
     
  • pousser le nouveau gouvernement à envisager une amnistie pour les prisonniers politiques de l’ère Niyazov ;
     
  • geler les avoirs de Niyazov à l’étranger après en avoir remonté la trace et ne les rendre à nouveau disponibles qu’à la stricte condition qu’ils soient utilisés pour la mise en œuvre de ces réformes ; et
     
  • maintenir et, là où c’est possible, étendre les programmes d’aide existants visant à améliorer les chances des turkmènes en matière d’éducation ainsi que d’autres mesures destinées à améliorer leurs conditions de vie.

Le nouveau gouvernement du Turkménistan devra procéder à de nombreuses réformes de grande ampleur, dont beaucoup seront radicales et prendront un temps considérable, afin de réparer les dommages causés par le défunt président à son pays. Il existe cependant un certain nombre d’initiatives qu’il pourrait facilement prendre dans l’immédiat sans menacer sa position et qui prouveraient ses intentions et sa bonne volonté aux yeux de son peuple aussi bien que du reste du monde, dont Niyazov avait si bien isolés les Turkmènes. En particulier, le nouveau gouvernement devrait promptement :

  • abroger le décret de 2003 qui invalide les diplômes universitaires obtenus à l’étranger ;
     
  • donner accès au Comité international de la Croix rouge (CICR) aux centres de détention, en conformité avec son mandat ;
     
  • examiner les condamnations des détenus politiques de l’ère Niyazov, autoriser ceux-ci à rencontrer leurs parents et des observateurs internationaux et leur accorder le droit de faire appel de leur condamnation et de leurs peines ; et
     
  • faciliter la production d’un rapport public complet et indépendant sur la mort en détention d’Ogulsapar Muradova ainsi que de la localisation et des conditions actuelles de détention des ses collègues Annakurban Amankylychev et Sapardurdy Hajiyev, et du massacre qui s’est déroulé à Owadandepe.

 

Bichkek/Bruxelles, 12 février 2007

I. Overview

The death of President Saparmurat Niyazov of Turkmenistan from heart failure was announced on 21 December 2006. His two decades in power bequeathed ruined education and public health sectors, a record of human rights abuses, thousands of political prisoners and an economy under strain despite rich energy exports. While official results are not expected to be announced for several days, there is little doubt they will show that his interim successor, Gurbanguly Berdimuhammedov, easily won the carefully choreographed presidential election on 11 February from which genuine regime opponents were excluded. The strategically important country is quiet for now, and Berdimuhammedov – partnered by the security strong man, Akmurat Rejepov – has promised limited reforms. It is unclear, however, whether the new team genuinely intends meaningful changes. The international community should avoid temptations to give them the benefit of the doubt but instead make it clear that serious trade and aid relationships and an end to Turkmenistan’s isolation require its new leaders to take the first steps to reverse Niyazov’s most egregious socio-economic policies and improve human rights.

International commentary often ridiculed the Niyazov personality cult but behind the gold and marble monuments was a grim reality. Niyazov’s Turkmenistan was one of the world’s most repressive and isolationist regimes. No opposition was tolerated, and the president’s word was law. Regular purges of all levels of government kept potential challengers off balance.

Niyazov left a country on the verge of a grave humanitarian and socio-economic crisis. Funding for educational and medical institutions has been drastically cut. Foreign degrees have been declared invalid, and the study programs in schools and universities shortened, with ideology an ever-growing part of the curriculum. Access to health care has been increasingly limited. With most money from hydrocarbon exports disappearing into off-budget and offshore accounts controlled by Niyazov – the current status of which are unknown – the economy had come under increasing strain. Agriculture has been left in disarray. Little or no regard was ever given to the environmental sustainability of Niyazov’s schemes. Citizens’ rights were routinely violated. In a particularly egregious case in 2006, a 58-year-old journalist and human rights activist, Ogulsapar Muradova, was arrested, along with two colleagues, and apparently tortured to death. Street crime and drug abuse are increasingly obvious, especially outside the capital, Ashgabat.

After Niyazov’s death, a group centring on Berdimuhammedov, the deputy chairman of the Council of Ministers, and Rejepov, chief of the Presidential Guard, took what appears to be an uncontested hold on power. Niyazov’s son and daughter have been sidelined, the military is underfunded and poorly equipped in comparison to the security services, and the political opposition is mostly in exile. Challenges from local elites or radical Islamist groups are unlikely at present.

While five tame candidates were allowed to stand against Berdimuhammedov in the presidential election, his victory was always certain. No opposition candidates were permitted, and all official structures worked to ensure the outcome. During the campaign, Berdimuhammedov promised improved education, higher pensions and salaries, greater attention to agriculture and free internet access. There have been hints that other changes might be in the works, though there have also been reports of continuing human rights abuses, including a reported massacre of inmates at the Owadandepe political prison.

It is uncertain whether the promised reforms are more than election demagoguery. Nothing concrete has yet been done. It does seem, however, that Berdimuhammedov and his allies realise that Niyazov’s course cannot be maintained. The international community should welcome and encourage the promises of reform and be ready to assist, provided the new government truly acts. In the meantime, it should:

  • express concern over the undemocratic nature of Berdimuhammedov’s assumption of power and condition improved relations and new assistance upon the implementation of such reforms;
     
  • urge the new government to consider an amnesty for the political prisoners of the Niyazov era;
     
  • track down and freeze Niyazov’s overseas assets, releasing them only on the strict proviso that they be used to implement reforms; and
     
  • maintain and where possible expand existing aid programs intended to improve educational opportunities for Turkmen citizens, as well as other measures aimed at improving their lives.

The new government of Turkmenistan will need to carry out numerous and extensive reforms, many of them radical and requiring considerable time, if it means to repair the damage the dead president did to his country. There are a number of immediate initiatives, however, which it could easily take without threatening its position and which would demonstrate its serious intent and show goodwill, to its own people and to the wider world from which Niyazov so isolated them. In particular, it should rapidly:

  • abrogate the 2003 decree invalidating academic degrees earned abroad;
     
  • give the International Committee of the Red Cross (ICRC) access to places of detention in accordance with its mandate;
     
  • review the convictions of Niyazov-era political detainees and allow them access to relatives and international observers and the right to appeal their convictions and sentences;
     
  • end restrictions on travel abroad; and
     
  • facilitate a full, independent and public accounting of the death in custody of Ogulsapar Muradova and the current whereabouts and condition of her colleagues, Annakurban Amankylychev and Sapardurdy Hajiyev, and of the reported massacre at Owadandepe.

 

Bishkek/Brussels, 12 February 2007

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