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Burundi : la crise de corruption

En dépit de la mise en place d’un dispositif institutionnel de lutte contre la corruption, le Burundi est en proie à une profonde crise de corruption qui menace la stabilité et la paix.

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Synthèse

En dépit de la mise en place d’un dispositif institutionnel de lutte contre la corruption, la crise de corruption que connait actuellement le Burundi met en péril la consolidation de la paix fondée sur un Etat moteur du développement et la relance de l’activité économique par l’investis­sement étranger. Les pratiques néo-patrimoniales du pouvoir en place depuis 2005 ont relégué le Burundi au plus bas dans les classements de gouvernance, affaibli son attractivité pour les investisseurs étrangers, altéré ses relations avec les donateurs et alimenté le mécontentement social. Mais surtout, elles sapent la crédibilité des institutions cré­ées après le conflit, le pacte entre anciennes et nouvelles élites et la cohésion du parti présidentiel régulièrement secoué par des affaires de corruption. Afin de corriger la détérioration de la gouvernance publique, les autorités burundaises doivent transformer les paroles en actes, la société civile doit se mobiliser en masse contre la crise de corruption et les bailleurs doivent faire de la bonne gouvernance un axe prioritaire de leur appui.

Depuis l’avènement de la République en 1966, le contrôle de l’Etat et de ses prébendes, essentiellement aux mains des élites tutsi, a été l’enjeu central de la politique burundaise et la distribution inéquitable des ressources qui en découlait a été à l’origine du conflit. Sans remettre en cause le contrôle de l’Etat et de l’économie par la minorité tutsi, la guerre civile (1993-2003) a été une période de diversification ethnique de l’oligarchie des affaires et d’am­pli­fication de la corruption.

L’avènement au pouvoir de l’ancienne rébellion du Conseil national des forces de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD) en 2005 n’a pas seulement trans­féré le pouvoir politique des Tutsi aux Hutu mais il a aussi semblé ouvrir une nouvelle ère en matière de gouvernance avec l’engagement des nouvelles autorités et la création d’institutions spécialisées pour lutter contre la corruption. Pourtant très rapidement, l’espoir d’une distribution plus équitable des ressources s’est estompé face aux premiers scandales impliquant de hauts responsables du parti présidentiel et de l’exécutif.

Au-delà de la politisation de l’administration, le nouveau pouvoir a aussi capturé le secteur public et ses ressources. Ses convoitises concernent également le secteur privé où il tente d’exercer un certain contrôle sur le système bancaire et de s’immiscer dans le processus de privatisation, et ce en totale contradiction avec les initiatives d’amélio­ration du cadre légal et règlementaire des affaires. Dans une économie aussi réduite que celle du Burundi où l’Etat joue encore un rôle majeur, l’accaparement des ressources publiques et privées risque de faire dérailler le scénario de consolidation de la paix.

Conscients de la dégradation de l’image du Burundi et surtout de l’impact de cette crise sur l’aide extérieure qui s’élève à la moitié du budget de l’Etat, le président de la République a pris les rênes du combat, lancé une campagne « tolérance zéro » contre la corruption et conçu une stratégie de bonne gouvernance. Mais cette approche est vouée à l’échec car le problème est mal identifié : au Burundi, à l’heure actuelle, il ne s’agit pas de se doter de la « bonne rhétorique », du « bon dispositif institutionnel » et des « bonnes lois » mais d’inverser des rapports de force défavorables à la promotion de la bonne gouvernance.

L’agenda technique pour lutter contre la corruption est clair et simple : renforcement du dispositif légal et règlementaire, accès à l’information pour les citoyens, indépendance des organes publics de contrôle et de régulation, dépolitisation de la haute administration, accroissement de la transparence dans les marchés publics et l’accès à l’emploi public, et réforme du secteur des ressources naturelles.

Mais cet agenda technique, actuellement incarné par la stratégie de bonne gouvernance, doit s’accompagner d’un agenda politique : les associations de la société civile doivent effectuer des évaluations citoyennes indépendantes, y compris concernant les efforts gouvernementaux de lutte contre la corruption, et créer un mouvement de masse autour de ce problème en formant un forum capable de fédérer le secteur privé, le monde rural et l’université. De leur côté, les partenaires au développement doivent faire de la lutte contre la corruption leur priorité et réévaluer leur engagement en l’absence de progrès. Maintenant que cet agenda est devenu une politique publique à travers la stratégie nationale de bonne gouvernance, il revient à la société civile et aux bailleurs de créer les conditions de sa mise en œuvre effective.

Bujumbura/Nairobi/Bruxelles, 21 mars 2012

Executive Summary

Despite the establishment of anti-corruption agencies, Burundi is facing a deepening corruption crisis that threatens to jeopardise a peace that is based on development and economic growth bolstered by the state and driven by foreign investment. The “neopatrimonialist” practices of the party in office since 2005 has relegated Burundi to the lowest governance rankings, reduced its appeal to foreign investors, damaged relations with donors; and contributed to social discontent. More worrying still, neopatrimonialism is undermining the credibility of post-conflict institutions, relations between former Tutsi and new Hutu elites and cohesion within the ruling party, whose leaders are regularly involved in corruption scandals. In order to improve public governance, the Burundian authorities should “walk the talk” and take bold steps to curtail corruption. Civil society should actively pursue its watchdog role and organise mass mobilisation against corruption and donors should prioritise good governance.

Since Burundi became a republic in 1966, state capture, mostly by the Tutsi elite, was at the centre of politics, and the unfair wealth distribution fuelled conflict. While the 1993-2003 civil war has not threatened the Tutsi political and economic domination, it has increased corruption and favoured the rise of an ethnically diverse oligarchy.

When the CNDD-FDD (Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie) rebellion came to power in 2005, it intended not only to transfer political power from the Tutsi to the Hutu but also to improve governance. The new authorities pledged to fight corruption and created state structures to this effect. However, the first corruption scandals involving the CNDD-FDD dignitaries and state officials watered down the hope of a more equitable wealth distribution.

In addition to the politicisation of the civil service, the ruling party captured the public sector and its resources. It is coveting the private sector by trying to extend its control over the banking sector. It is also interfering in privatisation processes, thwarting efforts to improve the business climate. In such a small economy, where the state maintains a prominent role, the monopolisation of public and private resources risks derailing the peacebuilding process.

The president took the lead in the fight against corruption to improve Burundi’s declining image and address the impact of this pervasive corruption on foreign aid – which amounts to half of the state budget. He launched a “zero tolerance” campaign and designed a national strategy for good governance. However, as the core problem has not been correctly identified, this approach is doomed to fail. The solution is not to “get the talk right”, to “get the institutions right” and to “get the legal framework right”; it is to change the power relations that undermine good governance.

The national strategy for good governance includes all the necessary technical ingredients to fight corruption: improved legal framework, citizens’ access to information, independent monitoring and regulatory organisations, depoliticised civil service managers, transparent tendering processes and public servants recruitments, and reform of the natural resources sector.

What is missing is a clear political agenda. Civil society organisations should create a mass movement against corruption through the establishment of an anti-corruption forum gathering the private sector, rural organisations and universities. They should also conduct independent citizens’ surveys and assessments and scrutinise the government’s anti-corruption performance. Donors should prioritise the fight against corruption and reconsider their engagement if governance does not improve. Now that the anti-corruption agenda has become a public policy through the national strategy for good governance, it is up to civil society and donors to create the conditions for its implementation.

Bujumbura/Nairobi/Brussels, 21 March 2012

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