Report / Africa 4 minutes

Mali : sécuriser, dialoguer et réformer en profondeur

Le Mali et ses partenaires internationaux doivent saisir l’occasion d’instaurer un dialogue national pour empêcher l’émergence d’une nouvelle crise politique ou sécuritaire.

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Synthèse

Pour les populations maliennes originaires du Nord, le sentiment d’avoir été « libérées » par l’intervention militaire française déclenchée le 11 janvier 2013 est une réalité. Au Mali, mais aussi en Afrique de l’Ouest et au-delà, cet engagement militaire soudain mais manifestement préparé a recueilli un large soutien. Il était nécessaire pour mettre fin à une offensive des groupes jihadistes que l’armée malienne n’aurait pas pu repousser. La France en a profité pour entreprendre une destruction des forces d’al-Qaeda au Maghreb islamique (AQMI). Alors que des combats continuent sporadiquement au Nord, le Mali va mieux mais les menaces sur la sécurité, la stabilité et la coexistence des différentes communautés restent redoutables. Les autorités de Bamako, les organisations africaines et les Nations unies qui vont déployer une mission de stabilisation doivent s’entendre au plus vite sur une stratégie de sortie de crise qui intègre la sécurisation du territoire, la protection des civils, le dialogue inter-malien inclusif, le redéploiement de l’Etat au Nord et l’organisation d’élections crédibles et non violentes.

Le Mali est entré dans la tourmente au début de l’année 2012 lorsque le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) a entrepris de chasser l’armée malienne du Nord et de revendiquer l’indépendance de cette vaste partie du pays. Produit des années de guerre civile en Algérie, AQMI s’est installée au Nord-Mali depuis une décennie et y a bâti des alliances locales qui ont débouché sur la neutralisation de l’Etat et du MNLA et sur une prise de contrôle du Nord depuis fin juin 2012 par des groupes armés jihadistes, Ançar Eddine et le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO). Les rébellions au Nord et le coup d’Etat du 21 mars 2012 ont mis le pays à genoux. Laborieusement développé par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), le projet de déploiement d’une force africaine a été finalement validé, à reculons, par la résolution 2085 du Conseil de sécurité de l’ONU le 20 décembre 2012.

L’offensive des jihadistes vers le centre du pays s’est révélée suicidaire pour ces groupes qui n’avaient pas anticipé la réaction militaire puissante de la France sur la demande du président intérimaire Dioncounda Traoré. L’armée malienne n’a fait que suivre les forces françaises qui ont pris successivement les trois villes importantes du Nord, Gao, Tombouctou et Kidal. Dans la région de Kidal, la plus au Nord, les forces françaises et tchadiennes ont pris pied sans les Maliens, moins pour reconquérir l’intégralité du territoire que pour poursuivre les combattants d’AQMI dans leurs refuges et détruire leurs stocks d’armes, de munitions, d’essence et de vivres. Pour la France, il s’agit bien de « finir le travail », dans le contexte d’une guerre déclarée contre le terrorisme. Sauf qu’il est difficile de savoir à partir de quel moment les capacités des groupes jihadistes auront été suffisamment réduites pour ne pas exposer à des attaques terroristes les populations civiles et les forces de l’actuelle Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (Misma).

L’opposition entre solution militaire et solution politique à la crise n’a pas plus de pertinence après l’intervention qu’avant celle-ci. La sécurisation du Nord est loin d’être acquise et l’Etat demeure absent de la région de Kidal, dont le MNLA revendique le contrôle. Ses forces armées restent déstructurées et incapables d’empêcher certains de leurs éléments de commettre de graves exactions contre des civils notamment touareg et arabes accusés indistinctement de collusion avec l’ennemi. L’action militaire au Nord a certes renforcé l’autorité du président mais l’ex-junte conserve une influence et les acteurs politiques civils restent incapables de remobiliser les Maliens autour de la reprise en main de la destinée du pays. Enfin, le gouvernement a annoncé et maintient le mois de juillet pour la tenue de l’élection présidentielle alors que les conditions techniques, politiques, sécuritaires et psychologiques nécessaires ne seront pas réunies.

Ni une présence prolongée de l’armée française, ni la transformation de la Misma en une mission de stabilisation de l’ONU ne peuvent se substituer à l’immense chantier politique auquel doivent s’attaquer les autorités intérimaires, les acteurs politiques et la société civile. Le temps du dialogue politique à Bamako, du dialogue intercommunautaire au Nord, de la tolérance zéro pour toute exaction des membres des forces de sécurité, du redéploiement de l’Etat au Nord est venu. Il faut organiser rapidement des élections mais pas à n’importe quel prix : le travail de réconciliation doit commencer maintenant, tout comme la fourniture de services sociaux et économiques aux populations du Nord, afin de favoriser un retour progressif des milliers de déplacés et de réfugiés. La radicalisation de l’opinion publique est réelle et il faut une forte volonté politique pour combattre les amalgames entre rebelles, terroristes, narcotrafiquants et Touareg ou Arabes. La campagne électorale risque d’aggraver encore les fractures.

La focalisation sur le terrorisme ne laisse aucune place à un examen dépassionné des vrais problèmes du Nord. Dans la hiérarchie des causes de la crise, la corruption et le laxisme dans la gouvernance viennent loin devant un problème terroriste, touareg ou même Nord-Sud. La communauté internationale doit exiger des Maliens qu’ils prennent leurs responsabilités. La manière la plus raisonnable et réaliste pour l’Etat de reprendre pied partout sur son territoire et d’y maintenir durablement la sécurité est de trouver un compromis avec les représentants des communautés, de donner des raisons aux populations les plus isolées de se sentir concernées par l’Etat et de tenir compte de la vulnérabilité de ces vastes zones frontalières aux mouvements d’armes et à l’émergence de rebelles.

Le défi le plus important et immédiat pour les organisations africaines et l’ONU est d’harmoniser leurs positions sur les modalités du processus politique. Il faut faire comprendre au MNLA qu’il est dans son intérêt de discuter maintenant les modalités de la participation de ses représentants ou sympathisants à un dialogue ouvert sur les vrais problèmes du Nord et de s’engager à renoncer à la lutte armée, et convaincre Bamako de ne pas fermer la porte à toute discussion, même discrète, avec ceux qui se réclament de ce mouvement en multipliant les préalables comme l’exigence d’un désarmement immédiat. La Cedeao, l’Union africaine (UA), le Conseil de sécurité de l’ONU, la Mauritanie, l’Algérie, le Niger, le Burkina Faso et la France doivent communiquer le même message aux dirigeants à Bamako et aux responsables du MNLA. Même un tel effort ne résoudra pas tout. Sans de nouveaux mécanismes de sécurité régionale impliquant tous les pays d’Afrique du Nord et de l’Ouest, toute victoire sur le terrorisme, l’extrémisme et le trafic de drogue au Mali ne sera que temporaire.

Dakar/Bruxelles, 11 avril 2013

Executive Summary

For the population of northern Mali, the feeling of being “liberated” by the French military intervention launched on 11 January 2013 is real. The sudden, but clearly well-prepared intervention, which received widespread support in Mali, West Africa and beyond, ended the offensive by jihadi groups that the Malian army had been unable to repel. France also took the opportunity to try and destroy al-Qaeda in the Islamic Maghreb (AQIM) forces. Although Mali is in a better place than a few months back, sporadic fighting in the north continues and formidable threats to security, stability and the coexistence of the country’s various communities remain. The authorities in Bamako, regional organisations and the UN, which is preparing to deploy a stabilisation mission, must quickly agree on a strategy for the resolution of the crisis that provides security, protects civilians, promotes an inclusive inter-Malian dialogue, reestablishes state authority in the north and sees peaceful, credible elections.

Mali descended into turmoil at the beginning of 2012 when the National Movement for the Liberation of Azawad (MNLA) chased the Malian army out of the north and demanded independence for this vast part of the country. With its roots in the Algerian civil war, AQIM has established itself in northern Mali over the last decade, building local alliances that allowed it to significantly weaken both the state and the MNLA and resulted in armed jihadi groups – Ansar Dine and the Movement for Oneness and Jihad in West Africa (MUJAO) – taking control of the north in June 2012. This and the coup in Bamako on 21 March 2012 brought the country to its knees. A laboriously prepared Economic Community of West African States (ECOWAS) plan to deploy an African force was finally, though reluctantly, endorsed by UN Security Council Resolution 2085 on 20 December 2012.

The sudden jihadi offensive towards the centre of the country in January 2013 proved suicidal. The jihadi groups did not anticipate France’s strong military response, following a request from interim President Dioncounda Traoré. The Malian army itself did nothing more than accompany the French forces that took the three most important towns in the north, Gao, Timbuktu and Kidal. French and Chadian troops entered the northernmost Kidal region without the Malians, less to reconquer it for the Malian state than to pursue AQIM combatants into their sanctuaries, destroy stocks of arms, ammunition, fuel and food supplies, and “finish the job” in the context of a declared war against terrorism. Whether or at what point it will be possible to declare the capacities of jihadi groups sufficiently reduced to avoid exposing the civilian population and the forces of the African-led International Support Mission to Mali (AFISMA) to terrorist reprisal attacks is unclear.

Now as much as before the French intervention, a solution to the crisis will only be sustainable if it combines political and military measures. The north remains very insecure and the state is absent from the Kidal region, where the MNLA claims control. Mali’s army is fragmented and incapable of preventing its soldiers from committing atrocities against civilians, notably Tuaregs and Arabs who are indiscriminately accused of collusion with the enemy. The military action in the north has strengthened the president’s authority, but the ex-junta retains influence and civilian political actors look incapable of mobilising citizens to take the country’s destiny into their hands. The government has announced that presidential elections will be held in July, although conditions – technical, political, security and psychological – for a genuine vote look unlikely to be met.

Even if French troops remain and AFISMA is rehatted as a UN stabilisation mission – which currently appear probable – the interim authorities, political actors and civil society face an immense political challenge. Political dialogue in Bamako, zero tolerance for atrocities by members of security forces, intercommunal dialogue and the redeployment of the state in the north are essential. Elections must be held soon, but not at any cost. The work of reconciliation should begin immediately. So too should the provision of basic social and economic services in the north, so as to facilitate the gradual return of thousands of internally displaced and refugees. The radicalisation of public opinion is a major risk, especially during the election campaign, and firm action by Malian leaders and institutions should aim to prevent people lumping together rebels, terrorists and drug traffickers with all Tuaregs and Arabs.

A focus on terrorism alone also risks distracting from the north’s real problems. The roots of the crisis lie much more in corruption and bad governance than they do in the terrorist threat, the Tuareg issue or even the north-south divide. The international community must insist that Malian leaders assume responsibility for tackling these problems. The most reasonable and realistic way for the state to regain its presence across Mali and maintain lasting security is to find a compromise between the representatives of all communities, ensure even the most isolated populations feel included, and take into account the vulnerability of vast border areas to the flow of weapons and armed groups.

The most important and immediate challenge for regional organisations and the UN is to align their positions on the political process. First, they must convince the MNLA that its interests are best served by renouncing its armed struggle and discussing how its representatives and supporters can participate in a dialogue on the north’s real problems. Secondly, they should persuade Bamako that it should not impose so many pre-conditions on talks – such as, for instance, requiring the MNLA to immediately disarm – that it closes the door to dialogue, or even discrete contacts, with MNLA representatives. ECOWAS, the African Union (AU), the UN Security Council, Mauritania, Algeria, Niger, Burkina Faso and France must all send the same message to the authorities in Bamako and the leaders of those armed groups in the north. Even this would not resolve everything, however. Without new regional security mechanisms involving all the countries of North and West Africa, any victory over terrorism, extremism and drug trafficking in Mali will only be temporary.

Dakar/Brussels, 11 April 2013

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